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LE CHOC DES GÉNÉRATIONS

AVANT-PROPOS | Le pourquoi du comment

C’est l’avant-propos de la première partie de mon livre qui n’a pas été (encore) édité et dont j’ai choisi d’exposer la première partie ici sous forme de podcasts. Le titre du livre est Le choc des générations • Le choc des époques. La suite des chapitres du livre sera en accès payant pour les abonnés.

Partie I. Qu’est-ce que “les générations” ?

Avant-propos

Le pourquoi du comment

Le sujet des générations est à la fois assez complexe et facile à saisir, sans aller dans les entrailles scientifiques qui n’intéressent en général que très peu de monde. Je vais tenter de vulgariser la complexité sociologique pour analyser notre contemporanéité, ainsi que la myriade de fourvoiements nouveaux et anciens que l’on traine de génération en génération, c’est le cas de le dire. Cependant la vulgarisation ne veut pas dire simplisme « pour les nuls ». Un certain effort cérébral sera tout de même nécessaire pour mettre en perspective la société, dont chacun de nous — sans exception — fait partie. Mais cet effort ne sera guère surhumain, en revanche il aidera à aborder différemment nos propres interactions et avec plus de compréhension de causes à effet. Bref, c’est un exercice qui n’a jamais fait mal à personne et qui ne procurera que des effets bénéfiques au lecteur et par la même occasion à son entourage professionnel, familial et amical.

Regardez autour : des idées reçues sur les générations et des étiquettes inconsistantes attribuées à tout va sont en circulation libre dans tous les canaux de communication de nos jours. Et, donc, dans les esprits. Le plus souvent ces égarements se basent sur des perceptions très sommaires et simplistes, non étayées par des analyses sensées. Or, mes observations et recherches sur le prétendu clivage des générations m’ont poussé à démystifier, voire déconstruire la matrice de la pensée communément admise.

Cependant, loin de moi l’idée de faire un énième comparatif des vertus des générations de leur vivant. Il y en a déjà plus qu’assez sur Internent, dans des magazines, des livres, des conférences et j’en passe. Le noyau de mon exploration consiste à comprendre pourquoi habituellement les générations ne s’entendent pas, se comprennent difficilement et quels en sont les égarements habituels ? Mais avant de plonger dans le vif du sujet une introduction qui remet certains points sur les i s’impose : pour comprendre d’où viennent les aberrations autour de ce sujet. Et j’imagine déjà que ma mini-étude ne me rajoutera guère d’amis. Néanmoins, il m’est impossible de ne pas remettre en question la majorité des thèses infondées et des stéréotypes sur les générations qui gravitent dans le conscient collectif de mes contemporains.

Alors, dans la première partie, on va essayer de comprendre de manière simple qu’est-ce qu’une génération, du point de vue sociologique et biologique. Quels mythes, comment et pourquoi gravitent autour des générations et qui en sont les principaux intéressés ? Qu’est-ce que les recherches récentes en disent ? Et pourquoi tous les jeunes sont des abrutis et leurs aînés sont des has been[1] ?

La codification des générations du XX siècle, qui leur a été attribuée par des sociologues, journalistes et blogueurs, ainsi que d’autres contemplateurs et moralistes des dernières décennies, est connue de tous : baby-boomers, génération X suivie de Y, ensuite des Z et ensuite des Alfa. Ce vocabulaire et les comparatifs, devenus usuels sur le web et dans les livres depuis quelque temps, forment désormais des notions sociétales inattaquables, surtout dans le monde de l’entreprise.

Mon intention est de vous amener à réfléchir en dehors des sentiers soigneusement battus par des consultants, des influenceurs divers et leurs followers, qui retweetent et repostent tout ce qui est balancé sur internet. L’interrogation, qui a incité l’écriture de ce livre, s’avère assez différente et — j’ose le croire — plus profonde que de banals comparatifs quantitativo-qualitatifs des 5 dernières générations, bourrées de projections fantaisistes sur celles à venir.

Photo by Nourdine Diouane

En tant que tels, les comparatifs générationnels sont bien plus jeunes que la sociologie et le journalisme – deux disciplines n’ayant connu leur véritable essor qu’à la croisée des XIX et XX siècles. Essentiellement dans la deuxième moitié du siècle dernier, les comparatifs générationnels commencèrent à apparaître comme une tentative sociologique de systématiser les subcultures sociales propres à chaque période historique. À premier abord, le fait de comparer — avec méthode — les dernières générations, de surcroît au moment du grand changement dans l’histoire humaine comme celui de notre époque, semble tout à fait intéressant et même salutaire. Mais lorsqu’on voit la tendance généralisée de travestir ces comparatifs (en leurs enlevant toute essence scientifique), cela amène à penser que la recherche sur les générations est plutôt appliquée que fondamentale. Car la « recherche appliquée » est utilisée pour un but plus ou moins précis et le plus souvent avec une finalité économique ; autrement dit pour l’argent. Contrairement à la « recherche fondamentale » qui, elle, n’envisage aucune rentabilité, ni à l’amont ni à l’aval, mais se fait pour acquérir avant tout de nouvelles connaissances. En d’autres termes : pour comprendre le monde et pour nous comprendre. Ainsi, lorsqu’on voit les résultats des comparatifs intergénérationnels et les voies de leur application, particulièrement la dernière décade, il est très difficile d’imaginer qu’un sociologue qui se respecte puisse qualifier ceci de recherche fondamentale et impartiale.

Je dois dire que moi-même je suis tombé dans le panneau [2] en novembre 2013 en publiant un article sur la génération Y. Influencé par un article américain, plutôt bien écrit, je me suis donné à cœur joie de le traduire et compléter avec mes propres commentaires et une infographie comparative. Ma publication a fait pas mal de vagues : l’article a été repris par un site à notoriété, ce qui lui a assuré une portée assez large dans l’Europe francophone et dans le Maghreb. Alors que mon raisonnement n’était pas vraiment dirigé dans le sens du clivage générationnel, j’ai quand même apporté une pierre à l’édifice de cette illusion déjà rentrée dans les mœurs. Et maintenant, je m’apprête à la déconstruire ici, en l’analysant sous un angle assez différent.

Serait-ce mon mea culpa ? En quelque sorte. C’est surtout mon goût pour la lucidité et l’honnêteté de la pensée. Car lorsqu’elle en est dépossédée, c’est la porte ouverte à toutes les dérives et aux doubles standards en tout genre.

Ainsi, lorsqu’on plonge dans les comparatifs générationnels à la mode, comme dans bien des domaines, les données y divergent considérablement. Par exemple, lorsque vous cherchez à connaître les populations par continent, les populations par langue ou les utilisateurs d’internet par pays, d’une ressource à l’autre les chiffres divergent. Et parfois du simple au double — ce que j’ai déjà écrit auparavant dans un de mes articles sur les langues[3]. De la même manière, quand on parle des générations, les laps de temps attribués à chaque génération s’écartent en fonction de la source, des études, des sociologues et mêmes des pays où ils sont publiés. C’était la première problématique qui m’a frappé lorsque j’ai commencé à creuser le sujet quelques années après ma publication de 2013. Au final, j’ai été rassuré par le même regard critique de David Costanza[4] qui, lui aussi, pose cette question à juste titre dans son article de mai 2018 : «comment peut-on prétendre prouver l’existence des générations si la simple définition de leurs limites temporelles varie autant d’une étude à l’autre? […] Les dates de début et de fin dépendent essentiellement des personnes[5] », c’est-à-dire des protagonistes de ces comparatifs générationnels. J’ai aussitôt compris que mon inquiétude était loin d’être dénuée de sens.

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[1] Anglicisme : dépassé, démodé, anachronique

[2] « Pourquoi la génération y est insatisfaite et malheureuse ? », NEW POINT de VIEW, 10.11.13. [https://www.newpointdeview.com/mag/view/pourquoi-generation-y-insatisfaite-malheureuse/]

[3] « Les langues et langages dans le monde. Sujet universitaire, démographique et politique à la fois », NEW POINT de VIEW. [https://www.newpointdeview.com/tag/langage/]

[4] Professeur associé en sciences organisationnelles à l'Université George Washington (Washington, D.C.) et chercheur en chef pour l'Institut de recherche de l'armée américaine.

[5] David Costanza, « Les générations, un concept marketing sans fondement scientifique », SLATE, 03.05.18, consulté le 03.03.20. [http://www.slate.fr/story/161041/sciences-statistiques-generations-n-existent-pas-absence-preuves-baby-boomers-x-millennials-z]

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